Nos idées et leur realité
Dix années de luttes, de victoires et de défaites ; Dix ans d'espoirs et d'amertume.
Mais dix années qui ont bouleversé le champ social français. 1970 c'est seulement deux ans après mai 68. C'est l'appel de toute la jeunesse française à cette classe tant aimée et adulée : La classe ouvrière.
Mais peu de gens savaient avant 68, que cette classe ouvrière était composée de tant de nationalités : Peu de gens connaissaient cette pratique de Citroën sur les chaînes : Un arabe, à côté d'un Turc, à côté d'un Yougoslave. Toute communication autre que par geste est exclue.
Des années d'avance...
lire la suite
Le patronnat français a déjà quelques années d'avance sur" nos idées ",des idées qui faisaient bouger des milliers de personnes à l'aube des années 70 : "Halte à l'exploitation de l'homme par l'homme " ; Mais le soutien aux immigrés était encore senti comme un prolongement du soutien aux luttes des peuples du Tiers Monde, beaucoup plus qu'un appel à des ouvriers. La lutte du peuple vietnamien occupait alors un champ idéologique très grand, en même temps qu'apparaissait une génération qui voulait aller à l'usine, avec un esprit << d'oser lutter et d'oser vaincre >>. Septembre 70 est la date qui va illustrer ces deux points de vue :
Le massacre des Palestiniens en Jordanie fait rentrer la politique dans les foyers, des films sont projetés, des débats organisés,des comités palestine sont créés, et leur composante essentiellement ouvrière illustre bien ce courant idéologique (de ceux qui se faisaient appeler les"maos"en France ) : soutenir les luttes d'un peuple et investir un champ social jusque là contrôlé par la C.G.T.
Dans la même période, la mobilisation contre l'expulsion de Massy, cloisonnant ainsi les deuxcommunautés les plus importantes au niveau de l'immigration : les Portugais et les Arabes. La symbiose entre mouvements revendicatifs et mouvement national révèle une communauté immigrée arabe"subversive", échappant à tout contrôle des institutions. La grève des OS de Renault en 71 est déjà plus qu'un signe. La vague des crimes racistes,suite à la nationalisation du pétrole algérien est déjà lus qu'une réponse...
L'assassinat de Djelali B.AIi,à la Goutte d'Or permet une mobilisation qui inquiète déjà.La circulaireMarcellin-Fontanet est pondue en 1972.Ce fut l'année des grèves de la faim des "Sans Papiers".Depuis Valence, l'immigration ouvre des voies qu'elle ne cesse d'experimenter et d'enrichir. Une grande victoire contre la peur des"Sans Papiers". Mais la multiplication des statuts différents isole des immigrés entre eux.La lutte pour la carte de travail ne concernait que les Tunisiens, les Marocains, les Turcs et plus tard les Mauriciens. Ni les Portugais, ni les Algériens n'étaient à l'époque concernés par la circulaire Marcellin-Fontanet. Mais les refoulements (véritables extraditions de fait) et les expulsions sont un lot quotidien. Dans ces conditions de répression. les syndicats ouvriers commencent à s'intéresser aux immigrés,mais à condition que certains champs de lutte ne soient pas concrètement et directement approuvés par les immigrés : en particulier cette zone de non-droit qui constitue la situation des << Sans-papiers >>.C'est à ce moment que contre l'avis de tout le monde, la grève générale des travailleurs immigrés arabes est annoncée pour le 14 septembre73. Dès le lundi 3 septembre,les chantiers des entreprises de Marseille,Fos,Aix, s'arrêtent. Le mouvement s'étend à d'autres villes du sud : Toulon, Nice... Et le 14, la grève générale dans toute la France. Réaction quasi-immédiate du Pouvoir : Le ministre du travail appelle à "arrêter l'immigration sauvage", donnant ainsi une caution officielle aux groupes fascistes, qui tentent de déclencher un mouvement d'opinion.
A l'heure où les luttes d'ampleur se développaient dans la métallurgie,au cours de l'année 73 et où Lip devenait un exemple pour la classe ouvrière,il était important pour le pouvoir de créer une sorte de courant raciste dans une partie de la population.La riposte de l'extrême-gauche au meeting d'Ordre Nouveau du 20 juin 73 (un an après l'assassinat de Pierre Overnay) constitue sans conteste un soutien total aux travailleurs immigrés, un des derniers sursauts de cette << conscience de 68>>.
a création d'un secrétariat d'état aux travailleurs immigrés en mai 74, vient juste après, pour effectuer une mission précise : Elarg- gir le contrôle social à l'immigration.Si Postel-Vinay reste 23 jours,Mr Dijoud est resté pour l'appliquer.Si les grèves de la faim ont été un lien de rassemblement populaire qui ont permis l'éclosion de ce qu'on va appeler la"cultureimmigrée" , Mr Dijoud rêvera de faire des maisons dans toute la France,où on"cultivera" mieux la culture immigrée.Mr Stoleru, intelligentsia ou stupiditsia, voudra mieux faire il se tue à expliquer que sa loi n'est pas raciste,puisque lui même immigré...
Mais Monsieur Stoléru ne sera plus distingué dans l'histoire par la recherche de l'affrontement avec la Sonacotra. Les foyers en grève depuis plusieurs années constituent un trop grand défi au patronnat. Le rôle du secrétaire d'Etat est d'en finir. Il s'agit de rattraper un retard ou de changer de politique. Et inversement on assiste à un investissement des travailleurs immigrés dans les syndicats. C'est dans ce sens qu'il faudrait analyser l'es grandes luttes d'usine des travailleurs immigrés à Channon (75) et aux cables de Lyon, où il semble qu'il y a des champs de lutte où l'immigration semble bloquée. Le Mouvement culturel connaît sa propre dynamique : d'une part une tentative de s'opposer aux institutions culturelles mises en place et d'autre part une forme de soutien aux luttes d'immigration (avec des fortunes diverses).Mais le silence qui s'abat sur les forces traditionnellement en soutien aux travailleurs immigrés et l'encerclement qui découle des nouvelles situations laisse un goût amer à cette phase de recherche et de réajustement que connaît. l'immigration.
A l'aube de ces années 80, les immigrés apparaissent un peu comme des "perdants"qu'on ne soutiendra plus comme avant. On ne verra plus comme avant, en 71, Sartre, Foucault et Claude Mauriac à Barbès. Car en filigramme, dans beaucoup de têtes, (bien ou mal pensantes) une question se pose ou s'est posée à un moment ou à un autre. "Mais s'ils sont malheureux, pourquoi ne rentrent- ils pas chez eux ?".Une question pas du tout agressive, presque innocente. Car il n'est pas facile de comprendre que l'immigration n'est pas (ou plus) simplement une immigration économique,mais aussi une immigration qui a fait des déracinés,des gens d'ici et d'ailleurs.
M.A DABOUSSI
Dix années de luttes
1970
• Janvier : Aubervilliers 5 Africains meurent asphyxiés dans un foyer-taudis ...
lire la suite
Le scandale des marchands de sommeil éclate. A Ivry,700travailleurs immigrés sont logés dans une usine réinfectée tranformée en foyer par un marchand de sommeil, Morael. Europe 1 dénonce : " " Auschwitz aux portes de Paris ". "Le 10janvier, simultanément, l'appartement du propriétaire de l'usine-dortoir. rue Gabriel Péri, et le siège du CNPF à Paris sont occupés par des ouvriers immigrés , des militant et intellectuels français parmi lesquels Maurice Clavel et Marguerite Duras.150 personnes sont arretées mais la question du logement des immigrés est publiquement posée.
• 12 Janvier : Chaban Delmas, alors premier ministre visite un bidonville d'Aubervilliers, en l'absence de ses occupants au boulot. Il se donne deux ans pour supprimer les bidonvilles. ""Q'on fasse disparaïtre cette lèpre...
• 20 Fevrier : Les CRS débarquent dans un bidonville d Chatenay-Malabry et détruisent tout, mettant le feu aux objets personnels de tous les occupants. Dans les bidonvilles à Massy, la résistance s'organise contre leur destruction et le relogement forcé. 459 Algériens et Tunisiens refusent d'Aller dans les foyers Sonacotra de Massy et de St Geneviève des Bois.Ils ne veulent pas payer un loyer pour quelques misérables mètres carrés et la vie de caserne sans droit de visites, loin du marché... Au bidonville des Portugais (600 personnes) on attend des H LM promis depuis 1968 et on refuse d'aller à Grigny. La résistant durera jusqu'en 73 .
• Juin : A Villeneuve-la-Garenne, bataille autour d'une construction sauvage sur un terrain des Sablières. Elever une salle de jeu pour les enfants du bidonvilles et des HLM voisines.
1971
• 20 Janvier : A l'usine Pennaroya de Saint Denis commence la première grève ...
lire la suite
des ouvriers immigrés (120) Marocains ,Algérien,Tunisiens,Maliens et Sénégalais pour de meilleurs salaires et contre les conditions de travail.
La maladie est dans l'usine .. La grève durera 17 jours.
• 22 Janvier : Renault-lle Seguin, mouvement des OS. Depuis 68, les OS cherchent à s'organiser dans les ateliers contre les cadences et contre la maitrise fasciste et raciste.
• Fevrier : Nationalisation des compagnies pétrolières en Algérie. Vague de crimes racistes et d'agressions.
• Le 13 Mars : Amer Saadi est frappé à mort à coup de manivelle, à Bonneville, en Haute- Savoie. Le 23 mars, Abdelkader Laïb.
• Le 23 Avril : c'est au tour de Mohamed Belmoumène à Irigny , Le racisme tuera.
• Le 9 Mai : Melle Salima à Vaux-en-vélin, le 17 mai, Melle Mounah Sabina, 15 ans, à Bondy et Salah Hadji à Chalette sur Loins, dans le Loiret, le 12 mai. Mézianne Hamouda, à Douai.
• Mai : Renault Le Mans. Révolte des OS. Grève avec occupation de l'usine.
• Mai et Juin : Les travailleurs résidents antillais, occupent pendant plusieurs semaines le foyer Del Campo, dans le Xllème. La même action aura lieu par la suite dans l'hôtel Astrid. Ils dénoncent les accords existants entre le BUMI-DOM et les foyers-taudis.
• Mai-Juin : Alsthom, mouvement de grève de onze semaines.Mouvement impulsé par les travailleurs antillais.
• 25 Juin : A l'appel des Comités Palestine, meeting important de l'immigration, 2500 ouvriers de toutes nationalités se réunissent pour le soutien à leurs peuples, et contre le racisme :c'est le premier rassemblement multinational pour les droits.
• Aout : Simca-chrysler à Poissy. Mobilisation des Réunionnais, enquête de I'UGTRF. De nombreuses grèves sauvages.
• Aout-Septembre : Luttes contre les centres de formation du BUMI DOM. Le centre de Crouy/Ourcq est occupé par un groupe de travailleurs antillo-guyanais. Ils demandent le droit de réunion, d'association dans les centres.Le droit à la culture nationale et une formation authentique.
• 22 Septembre : A Massy, début de la mobilisation contre l'expulsion de Laureta Fonseca jeune femme portugaise connue pour son soutien actif aux immigrés des bidonvilles de Massy. Un sursis à exécution lui sera accordé jusqu'en 73.
• Aout-Septembre-Octobre : Brandt à Lyon. Luttes des immigrés arabes et des Réunionnais. Sabotages et licenciements. 3 travailleurs réunionnais incarcérés font le procès du Bumidom et de la maîtrise fasciste notamment du chef Claris qui avait torturé un manouvre tunisien.
• Octobre : A Amiens, luttes contre l'expulsion de Sadok Djeridi, ouvrier tunisien. et sa famille. Un comité anti-rasciste s'est organisé, manifeste, pétition, défilé dans le, rues d'Amiens de mille personnes, meeting le 26 avril 72 suivi d une grève de la faim pour sa carte de travail avec entre autres le curé de Sénarpont.Sadok obtient sa carte.
• 25 Octobre : Paris : la Goutte d'Or : Djellali Ben Ali, Algérien de 15 ans, est tué par le concierge raciste de l'immeuble où il habitait. C'est le point de départ d'un grand mouvement anti-raciste qui culmine avec une manifestationde 3000 personnes dont 2000immigrés. C'est la première manifestation immigrée de masse à Paris. Depuis, Barbès est investi par la police et les CRS. Un mois plus tard, Sartre, Claude Mauriac, Foucault viennent à la Goutte d'Or dénoncer l'occupation policière.
• Decembre : Villeurbanne, des travailleuses réunionnaises occupent leur foyer. Toutes sont femmes de ménage dans les hôpitaux venues par les soins du BUMI-DOM.
• 27 Decembre : Les immigrés des usines Pennaroya de Saint Denis, de Lyon et d'Escaudouvres déposent en même temps leurs trois cahiers de revendications. La direction rejettera aussitôt la: revendication.
1972
• 9 Février : Les usines de St Denis et de Lyon sont en grève ...
lire la suite
Le 14, ceux d'Escaudouvres cessent le travail. La grève va durer un mois avec occupation des usines. Cette lutte sera exemplaire. Conduite de bout en bout par les ouvriers immigrés eux-mêmes. Un comité de soutien dont de nombreux médecins mettra en évidence les conditions scandaleuses du travail immigré. Luttes contre le saturnisme , la maladie du plomb. Une nouvelle réglementation verra le jour à la suite de ce conflit.
• 25 Février : Assassinat de Pierre Overney, porte Zola. Il diffusait aux ouvriers de Renault un tract appelant à une manifestation contre les crimes racistes. La police interdira la manifestation.,mais elle aura quand même lieu. Brutalités policières.
• 6 Mars : Expulsion de l'abbé Reynolds, Mauricien qui soutint les Réunionnais de l'agglomération lyonnaise. Ce prêtre avait déjà été expulsé de la Réunion le 29 décembre 70. MARS-JUIN ; Deux petites villes de province,""Aix en Provence et oyonnax", connaissent deux grèves générales des travailleurs immigrés,revendication unique : Non aux expulsions des logements décent.
• Avril : Fos-sur-Mer en plein essort, cornait sa première grève immigrée. D.A.V.U.M, entreprise métallurgique est immobilisée. Six mois après, Laid Mahfou meurt sur le chantier Trindel. Grand mouvement de protestation des immigrés de Fos, avec plusieurs manifs au foyer de la Courbedonne où logent les 4000 étrangers.
• Mai : 1ère grève de travail pour les papiers. Les chantiers d'Amiens et de Sainte Geneviève des Bois d'E.G.C.C, boite de sous-traiono des P.T.T sont paralysés par une grève de cinq semaine.
• Mai-Juin : Très longue grève des immigrés travaillant dans les entreprises de sous-traitance aux chantiers naval, de la Ciotat Adhésion collective au syndicat C.F.D.T
• Juin : Grande manifestation d'ouvriers arabes à Lyon après l'assassinat raciste de Rezki Arezki.
• 6 Aout : A Marseille, 1000 travailleurs immigrés manifestent pratiquement seuls,en riposte à l'assassinat de Bekri Mohamed.
• Juin : Création du Mouvement des travailleurs arabes.
• Juillet: A Montbéliard,120 résidents algériens sont menacés d'expulsion de leur centre d'hébergement. Une riposte victorieuse s'organise. Le 8 juillet a eu lieu une manifestation silencieuse dans les rues de la ville.
• Octobre : Application des circulaires Fontanet-Marcellin adoptées en février et bien accueillies par les syndicats.
• 26 Octobre : Contre leur expulsion, Saïd et Faouzia Bouziri commencent dans le 18ème une grève de la faim. Le comité de soutien, fort de plusieurs centaines de personnes, fera reculer le ministère de l'Intérieur. Cette victoire, à un moment où le pouvoir met en place la circulaire Fontanet-Marcellin, donne naissance au comité de défense des droits et de la vie des travailleurs immigrés. Les comités de défense seront présents dans les luttes des ouvriers immigrés contre la circulaire Fontanet-Marcellin.
• 29 Novembre: Assassinat de Mohamed Diabdans le commissariat de Versailles par le sous-brigadier Maquuet. Une enquête populaire aboutit à plusieurs initiatives. 137 intellectuels appellent à une marche silencieuse à Bonne-Nouvelle le samedi 16 décembre. La marche est intrdite et violemment réprimée. Des dizaines de travailleurs immigrés sont interpellés ainsi que plusieurs intellectuels, Genet, Foucault,Mauriac, etc. Une marche silencieuse à Versailles le 10 févier sur le commissariat. A ce jour, Marquet n'est toujours pas jugé. Le tribunal correctionnel s'est déclaré incompétent en mai 75. On attend depuis que ce policier meurtrier comparaisse devant les assises. L'année est également marquée par les innombrables grèves de loyer menées par les Africains noirs, contre les marchands de sommeil à Paris, rue Basson, rue Riquet et à Ivry, à Pierrefitte et Bondy.
• Du 7 au 14 Décembre 72 : Grève des éboueurs parisiens. Les 3286 auxiliaires étrangers employés comme saisonniers. obtiennent la garantie d'emploi en cas de maladie, et la possibilité de cumuler leurs congés sur 2 ou 3 ans pour se rendre dans leur pays sans pour autant perdre leur emploi. A la mi-Décembre, à Valence, à la suite d'une descente de police dans un hôtel 18 travailleurs tunisiens sans papiers sont menacés d'expulsion. Deux d'entre eux entament une grève de la faim. 3 Français dont un aumônier se joignent à eux. Le 23 décembre. l500 personnes défilent dans la ville. Les prêtres des différentes paroisses de la ville décident de supprimer la messe de minuit. Cette décision aura un tel retentissement que le ministre du Travail décidera de faire délivrer la carte de travail.
• 17 Décembre : A La Ciotat, dans l'église de la Cité de l'Abeille, 4 Tunisiens commencent a leur tour une grève de la faim pour avoir la carte de travail. Ils étaient en grève sur leur chantier depuis le 4 décembre pour le remboursement des retenue prélevées par leur employeur et la carte de travail . Après la Ciotat, la grève de la faim va s'étendre à Fos et à Paris, une première fois dans les locaux de la CFDT, square Montholon.